Alors que les pourparlers pour l’Open Sky reprennent en ce début du mois avec leur lot de défenseurs et de détracteurs, Mille et une Tunisie a rencontré ce chef d’entreprise qui, pour le moins que l’on puisse dire, a du pain sur la planche. Entretien.

Mille et une Tunisie : Le ministre du tourisme Elyes Fakhfakh vient d’annoncer la création d’une taxe sur les compagnies aériennes afin de promouvoir le tourisme tunisien. Qu’en est-il au juste?
Rabah Jerad : En tant que compagnie nationale qui travaille depuis des années en partenariat avec le ministère du Tourisme, Tunis Air ne se sent pas concernée par cette annonce. La taxe annoncée par Elyes Fakhfakh s’élève a 1% du chiffre d’affaires des compagnies aériennes.

Quand on sait qu’en moyenne les bénéfices de ces dernières s’élèvent à 4%, cette taxe correspondrait donc à ¼ des bénéfices… A cela s’ajoute 30% de taux d’imposition. Donc les compagnies seraient taxées à 55%, ce qui me paraît, pour le moins, être un non sens. De plus, dans le contexte actuel, Tunis Air n’est pas en mesure de payer les taxes aéroportuaires.

Les négociations avec l’Union européenne à propos de l’Open Sky devaient reprendre en septembre 2012 pour une période de 6 à 12 mois. Où en sont les négociations? Comment Tunis Air se prépare à vivre cela sachant qu’elle vit déjà dans un monde charter totalement libre depuis des décennies? L’enjeu, entre autres, ce sont les vols « Low cost » à partir et de l’aéroport internationale de Tunis Carthage.
La réunion avec l’Union européenne a été reportée à Octobre. Les compagnies européennes cherchent à desservir Tunis Carthage. Or, cet aéroport est déjà au maximum de ses capacités. Je ne vois pas comment l’aéroport pourrait techniquement intégrer d’autres vols réguliers.
L’infrastructure de Tunis Carthage est conçue pour accueillir 12 avions par heure. Cet été, entre le flux de touristes, les TRE et la Omra, nous avons à certaines heures atteint 30 avions/heure ce qui explique les retards qu’on nous a beaucoup reprochés.

A l’opposé, des aéroports comme Gafsa, Gabès, Tabarka ou Tozeur n’ont quasi plus de vols sur Sfax, Tunis Air accuse un déficit de 50% sur ses vols. C’est dans ce contexte que le 1er septembre dernier, nous avons fermé la liaison des vols vers Gafsa et Gabès car nous étions tellement déficitaires que nous ne pouvions plus nous permettre de les maintenir.Ici l’Open Sky pourrait apporter beaucoup à ses régions. Mais à Tunis, l’Open Sky qui avantage les compagnies européennes serait une catastrophe pour Tunisair.

Prenons l’exemple du Maroc, l’ouverture du ciel marocain aux compagnies européennes a failli tout simplement tué la « Royal Air Maroc ». Or en Tunisie, il faut avant tout, dans le domaine du transport aérien, procéder à une mise à niveau de « Tunisair ». Il faut être conscient qu’en tant que compagnie nationale, nous sommes, nous avons actuellement 8500 salariés permanents pour 33 avions… Ce qui est un ratio absolument aberrant.

Du côté de la compagnie nationale Tunisair, on enregistre une perte de 100 milliards de dinars, une chute de 14% du nombre des voyageurs et -4,8% des recettes d’exploitation. Les raisons invoquées sont celles de la hausse du carburant et de l’augmentation des charges d’assurances (+38%) et d’amortissement et non pas la concurrence ou la baisse du tourisme. Comment se porte la compagnie? Quels sont ses défis à moyens terme?
La compagnie est au bord du gouffre, je n’apprends rien à personne et le défi consiste justement à l’assainir, la redresser et à assurer sa pérennité. La gestion ante révolution mais aussi post révolution, avec notamment les accords du 3 février 2011, ont été catastrophiques pour Tunisair.
Nous travaillons depuis un certain temps à un plan de redressement que nous devions initialement remettre au Ministre du Transport fin octobre mais que nous remettrons d’ici la fin 2012.

Les points de ce plan sur lequel nous communiquerons consistent à résorber nos dettes et à restructurer profondément « Tunisair » via une diminution des effectifs mais aussi un nouvel organigramme et des économies strictes à chaque niveau de la hiérarchie.

Nos défis sur un plus long terme consistent en l’amélioration de la qualité de nos prestations via notamment une mise en niveau, une meilleure compétitivité de nos tarifs, la fidélisation de nos clients et la captation de nouveaux.

Nous devons aussi développer et diversifier notre activité car actuellement l’offre dépasse largement la demande. Il faut savoir que nos taux de remplissage sont de l’ordre 60 à 70%.

Nous sommes également en train de renouveler la moitié de notre flotte car celle-ci, ancienne, était sujette à de fréquents problèmes techniques qui engendraient, pannes, retards et baisse certaine de la qualité de service. Ce renouvellement se fait à raison de 2 avions par an jusqu’à 2017 puis 3 A350 en 2020 et 2021. Au final nous disposerons de 16 nouveaux avions,  10 A320, 3 A330 et 3 A350.

Vous aviez le projet de mettre en place un hub de correspondance entre l’Europe et l’Afrique. Où en est ce projet ?
L’acquisition d’A330, gros porteurs, dans le cadre du renouvellement de notre flotte aérienne nous donne la capacité technique de mettre en place des vols plus longs et notamment en direction de l’Afrique. Ainsi à Bamako (Burkina Faso), Abidjan (Côte d’Ivoire), Dakar (Sénégal) et Nouakchott (Mauritanie) que nous desservons déjà s’ajouteront en mars 2013 des vols Tunis-N’Djamena au Tchad et Tunis-Douala au Cameroun.

Au final nous aurons d’ici 4 ans, 20 destinations africaines au départ de Tunis Carthage. Nous sommes également en train d’étudier un vol direct Tunis-Montréal pour une mise en service effective en 2014-2015.

L’image de la compagnie a pris un coup avec l’interdiction de vente d’alcool sur l’ensemble de ses vols durant le mois de ramadhan, ses fréquents retards et sa qualité de services est fortement critiquée par ses utilisateurs via les réseaux sociaux et les médias. Quel plan avez-vous l’intention de mettre en place pour changer l’image de la compagnie ?
Nous devons changer l’image de Tunis Air. Tout d’abord, nous devons améliorer la qualité de nos services et c’est par exemple ce que nous faisons en renouvelant notre flotte. Il en découlera une baisse des problèmes techniques donc moins de retard donc une meilleure qualité de service.
De plus, nous devons faire une mise à niveau en interne. Tout en gardant  Tunis Air comme société nationale, nous devons l’assainir et la rendre compétitive.

Nous recherchons un professionnel de la communication afin de changer notre image via une grande campagne de communication nationale et internationale. Ceci se mettra peu à peu en place en 2013.

Propos recueillis par Aurélie Machghoul

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