C’est à la défaveur d’un incident survenu au cours des fêtes dans une maison d’hôtes qui se trouve à Raf Raf et relaté à travers les réseaux sociaux que de nombreux propriétaires et gérants d’hébergements alternatifs attaquent l’année 2021. Un peu sous le choc mais beaucoup avec angoisses et appréhensions. Par Amel Djait

Pour comprendre le fait divers, lire l’article du magazine électronique Businessnews sur ce lien: https://www.businessnews.com.tn/agression-et-kidnapping-dans-une-maison-dhotes-a-raf-raf,520,104915,3?fbclid=IwAR21DjtLMPf5X8Yv_MdzLFaLMP9fmKonMIhtO5rLWJO-RmrACYKdJxduRn8

Les répercussions de cet incident ne se font pas attendre: un durcissement des autorités de la région du nord est décidé au cours d’une réunion d’urgence. Certaines maisons d’hôtes et gites ruraux sont désormais dans l’attente d’une décision de fermeture. Cette mesure concernera bien entendu les établissements qui sont soit dans l’informel soit en cours de régularisation de leur situation.

Du côté de Raf Raf, Ghar El Melh, Sounine et El Alia où de nombreux hébergements ont réussi à créer un produit spécifique et une destination courue par la clientèle locale. il va de soit que l’on dénonce la violence de l’incident autant que l’anarchie qui sévit dans la filière. un opérateur de la région explique: “C’est inadmissible ce qui s’est passé dans cet établissement ! Mais d’un autre côté, que voulez vous? Nous ne sommes ni tout à fait en ordre ni en infraction. Du côté de l’ONTT et du Ministère du tourisme, nous sommes soutenus, avons des accords et sommes encadrés. De l’autre, du côté de l’agriculture, nous sommes face à un mur. Aucune réponse, aucun égard ni considération! Rien ! Que faire? Comment avancer? Quelles sont les garanties pour nos clients et comment peuvent-ils arriver à trier la graine de l’ivraie? Qui nous soutient en tant qu’investisseur touristique régional quand on se débat avec des procédures insurmontables?

Une zone grise qui plombe les hébergements alternatifs entre le toléré et le pas tout à fait en règle !

Il va sans dire que les hébergements alternatifs est une filière qui a surpris le législateur et l’a devancé. Aujourd’hui, l’Office National du Tourisme Tunisien ( ONTT) vise à en libérer le potentiel. Celui-ci travaillerait sur un nouveau cahier des charges facilitant l’activité et misant sur le contrôle en aval.

1001Tunisie croit savoir qu’aujourd’hui plus de 350 demandes sont dans l’attente d’approbations. Il est incontestable que le département qui régente la filière a besoin de soutiens et de ressources humaines et financières. Ce dernier, n’est pas le seul à souffrir de l’incohérence de l’administration. La coordination entre le ministère du tourisme reste un sempiternel écueil sur lequel se fracassent de nombreux projets et promoteurs. Nous citerons notamment ceux en relation avec le ministère de l’Agriculture pour les gites ruraux, l’intérieur pour les licences d’alcool, le ministère de la Santé pour les cliniques et autres centres de thalassothérapie et de spa,…

Sur le site internet du tourisme tunisien https://www.discovertunisia.com/ ( mise à jour le 28/12/2020), les hébergements alternatifs sont placés dans la catégorie hôtels. Officiellement, une centaine d’opérateurs sont en règle avec des agréments à la clef. Dans la sous catégorie chambres d’hôtes, nous relevons 57 adresses. Celle des gites ruraux ne dépasse pas les 20 et les campements touristiques sont à peine 16.

Sabri Oueslati est le Président de l’Association Edhiafa http://edhiafa.blogspot.com/. Interrogé sur le fait divers ci-haut mentionné, il répond que les membres de son organisation, qui sont en règle ou en train de le devenir, n’ont subis aucune inquiétude et c’est tant mieux! Par contre, il crie un raz le bol et exprime une colère justifiée: “Qui fait quoi de concret pour ces nouveaux acteurs? Comment les soutient-on? Ils sont un beau faire valoir de la diversification du tourisme tunisien mais concrètement, ils sont toujours en attente d’un cadre juridique plus adéquat, d’une communication spécifique, d’une reconnaissance et implication officielle plus productive”.

Dar Benti
Dar Benti maison d’hôtes à Monastir

Concrètement, autant la dénonciation de l’informel est indiscutable, autant le soutien à la rentrée dans les ordres est complexe : “Victimes des arrangements institutionnels, ce sont les acteurs qui sont les premières victimes du système. Ces acteurs sont placés volontairement dans l’informel. Ensuite, on leur tape dessus. En amont, on ne réussit pas à leur faciliter les démarches et à résoudre les problèmes internes de gouvernance,…” conclut Moez Kacem, universitaire et expert de tourisme.

Plus de dix ans que la filière se bat. Plus de 10 ans qu’elle revendique sans grand succès. Plus de dix ans qu’elle parvient contre vents et marrées à créer un marché local et international. Aujourd’hui, certaines adresses sont devenues des références dans le monde du luxe, de l’art de vivre et du tourisme durable. Le marché qui répond positivement à cette offre embellit des régions du pays en créant de l’image, des emplois, de la valeur,…

A son arrivée, le ministre du tourisme, Mr Habib Ammar, soutenu par le chef du gouvernement Mr Hichem Mechichi, a déclaré que le tourisme alternatif était une de ses priorités, notamment à travers un programme de relance de tourisme intérieur. A ce jour, rien de concret pour soutenir la filière n’est mise en place.

Les hébergements alternatifs, une des principales filières du tourisme post COVID, est pourtant à soutenir. Cet axe au grand potentiel pourrait être un des fers de lance d’une reprise à venir et d’une transformation touristique tunisienne nécessaire autant qu’urgente. Ces temps de crise, n’étaient -ils pas opportuns pour au moins légiférer sur les règlementations caducs qui étouffent la destination?

Quelle stratégie veut le tourisme pour les hébergements alternatifs? Jusqu’ou peut aller le secteur privé sans soutien?

Aujourd’hui , les tendances pour les années à venir sont le besoin de sécurité et d’intimité autant qu’un besoin de vivre en communauté, tout en s’isolant des dangers provenant du monde extérieur. Face à la crise sanitaire qui frappe le monde, l’envie de nature, le besoin de réduire le niveau de stress et de prendre soin de sa santé en mode mindfulness (pleine conscience et recherche d’un équilibre intérieur) est indéniable. Ne sommes nous pas alors en plein cœur d’une voie à explorer et exploiter?

Le Directeur général de l’ONTT, Mr Moez Belhassine, sur les ondes d’une radio nationale a estimé la semaine écoulée, que seuls 20 % des établissements étaient en règle. Reste à savoir si l’administration a une idée précise sur la situation? Combien et qui sont les acteurs de la filière? Que représentent -ils en termes de chiffre d’affaires? Combien emploient-ils de personnes? Quel est l’impact directe et indirect sur l’artisanat, les produits du terroirs, les régions,…

du cote de chez blilli's

Combien sont-ils? Quelles garanties pour le client? Qui protège l’opérateur? Comment faciliter les démarches?

Quand on cumule TripAdvisor, les diverses centrales de réservations, les pages et groupes FB et le mapping de 1001tunisie, on s’approche de 1800 adresses, tous les hébergements confondus ( maison et chambres d’hôtes, locations saisonnières, gites, camping,…). Les questions tombent alors en cascade: Quelles sont les produits, segments, catégories…Quels sont les prix et les garanties pour les clients? Quelles promotions mettre en place? Y a t-il des hébergements touristiques à l’adresse des touristes étrangers et d’autres pas ( comme c’est le cas pour l’hôtellerie et la restauration)? Quels projets de labels? Quelles mesures de soutien et d’incitations sont-elles à espérer? Quelle durabilité peut-on promouvoir au niveau de la filière? Quelles politiques de gestions locales des destinations régionales en Tunisie faut-il espérer viser?…

A chercher quelques réponses à ces questions, il convient de revenir aux divers programmes de coopération internationale en relation avec le secteur du tourisme qui sont en cours d’exécution et qu’évoque la Directrice générale du ministère du tourisme, Mme Mouna Ghliss, dans une interview accordée au journal économique webmanagercenter. https://www.webmanagercenter.com/2020/11/14/459024/des-bailleurs-de-fonds-internationaux-se-mobilisent-pour-un-tourisme-durable-en-tunisie/ le 14 novembre 2020.

Nous y lisons ce qui suit : A l’horizon 2023/2024, le ministère du tourisme compte tripler le nombre de nuitées passées dans les hôtels de charme, les pensions de famille, les gîtes ruraux et les maisons d’hôtes agrées par l’ONTT, contre environ 2 millions de nuitées actuellement. Le coût de la nuitée est estimé en moyenne à 150 dinars“.

Reste à savoir qui et comment sont impliqués les acteurs dans les objectifs de ces programmes? Comment les entraves au développement d’un tourisme alternatif et durable vont-elles être levées face à un secteur privé qui n’est accompagné que sur validation du ministère de tutelle et qui n’arrive toujours pas à s’élever en tant qu’interlocuteur audible?

Du côté de la Fédération Inter professionnelle du Tourisme Tunisien (FI2T), https://www.fit-tunisie.org/ un nouveau groupement dédié aux hébergements alternatifs est né. Son ambition est aussi d’inculquer et accompagner la durabilité dans le tourisme dans toutes les autres filières du syndicat. Celui-ci, vient déjà de rejoindre la grogne qui règne au sein de la Fédération Tunisienne de l’Hôtellerie, ( FTH) qui n’est pas parvenue à conclure des partenariats concrets et porteurs avec les divers organismes qui mettent en application des programmes comme ” Tounes Wijhetouna” et qui sont dont la GIZ, SwissContact, Atout France, Onudi,…

Jusqu’à il n’y a pas longtemps, le programme” Tounes Wejhetouna” portait les espoirs d’un secteur à reconstruire. A terme, au bout de 5 ans et de 50 millions d’euros, celui-ci pourrait aider la destination à prendre la voie de la modernisation et de la diversification. Cependant, chemin cinématographique faisant, entre autres, ce programme serait-il en train de devenir le programmes de toutes les désillusions?

Des questions se posent et une enquête est en cours. Mais dores et déjà, quid des budgets alloués à la filière des hébergements alternatifs? Quels sont les plans d’actions qui sont validés par le Comité de pilotage ( bailleurs de fonds et acteurs du secteur du tourisme ) qui gère la dimension durabilité, diversification et créations de routes ? Où en sont les autres axes du dit- programme? Quelles méthodes et quel schéma décisionnel est -il appliqué si une partie ( secteur privé) se retrouve laisser pour compte sur la route de cette grand ambition?

Des réponses sont à venir.

Crédit photos: Pierre Gassin